Poznamkovy blok

Publié le  12.03.2013

C'est un canapé, ou plutôt un récamier, un récamier de théâtre, évidemment. Récupéré lors d'un changement de direction au théâtre Les Tanneurs puis recouvert de velours chocolat pour supporter les divagations d'Olympe Dufour, une cantatrice âgée répétant son chant du cygne, créé au théâtre Le Café il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui dans le salon-bureau-bibliothèque il sert de reposoir à la documentation, aux livres en cours de lecture empilés pour les travaux présents, aux livres utilisés en atelier, en répétition, exilés de leur place habituelle dans les rayons. Gardés de part et d'autre par une lampe et un lampadaire à large abat-jour clair, devant une cheminée en marbre purement ornementale qui expose à l'année une installation d'objets de cuivre, de bois, de bronze. Plateaux orientaux gravés d'enchevêtrements de rosaces. Coffret chinois d'orme fauve doublé de velours cramoisi où sont rangés des bâtonnets d'encens, cèdre et lavande ambrée. Rouleau de bois recouvert de lino à imprimer des batiks, cendrier bien inutile au fond duquel sont allongés des gémeaux. Bougeoirs catalans, pilons et mortiers pharmaceutiques, lourds et contondants, armes défensives ou pièces à conviction recyclées en vases à roses-thé, dissimulées dans le paysage à côté d'un emballage raffiné d'eau de lavande de Florence, enrubanné. Officina Profumo-farmaceutica di Santa Maria Novella. Cet arsenal surplombe « Le livre de l'intranquillité » de Bernardo Soares, le « Journal » de Kafka, « Les nuits d'octobre » de Nerval. La photo émouvante d'un acteur de théâtre rituel theyam à Kerala, chauffeur d'autobus dans le civil qui incarne au théâtre, sur la page de droite, en splendide attirail de bois peint et de passementerie rouge et or, serti de fleurs, de feuilles, de perles et de sequins d'argent, une déesse en flammes depuis la nuit des temps. Une « Grammaire de l'Académie française », en très mauvais état et un bloc de 100 feuilles quadrillées perforées A4, marque 365 sous la silhouette d'un lion simplifié. Bloc de cours, Cursusblok, Schreibblock, Poznamkovy blok, Caiet, Writing pad. "D'où viennent les idées ? " demandent les enfants. De l'envie de fuir vers une fiction future les nécessités et contraintes des travaux amoncelés, d'échapper aux radotages, à la peur des lendemains qui déchantent, aux ennuyeux dossiers répétitifs à relire et à re-re-corriger, aux salles à remplir de spectateurs, aux plannings à négocier et à renégocier, aux éclairages et aux lumières à réinventer comme au premier matin, aux conduites de régie à repréciser, en espérant que ces douleurs lombaires seront passagères. Alors on se jette dans l'oisiveté coupable, sur « Le Monde » du week-end et les démêlés de la famille Bettencourt, on s'immerge dans un bon long bon bain, les douleurs fondent dans l'eau chaude et les idées rebondissent comme des marsouins.

À découvrir aussi

La dédicace 3

  • Fiction
Il me dit : « C'est un ancien compagnon de classe ! » « Compagnon ? » Je regarde son corps étroit, ses mains fines, presque osseuses, ses articulations délicates, puis ce sourire si terriblement fémin...

Words, web and Bob

  • Fiction
« Words... words... words... » disait Shakespeare. « Qui était aussi un terroriste » dixit Ferré aux cheveux longs Dans la chanson du même nom A savoir « Words... words... words...» dans laquelle même...

Séquence en X

  • Fiction
Tirant sur sa cigarette qui expulse de curieux X dans l'air désoxygéné, Sissi m'expose que l'extase ne s'explique pas, que l'extrême s'exempte d'une exigence d'exactitude. Dès le début, j'ai senti qu'...