Royaume

Publié le  19.10.2012

Pour Etienne Reunis

Avant d'avoir l'idée d'être riche sans argent, j'avais envisagé deux solutions opposées, correspondant au même besoin d'écrire en étant débarrassé des soucis matériels. L'une d'elle était d'avoir une maladie ou un accident incurable, mais indolore - par exemple la paralysie des membres inférieurs - et d'être pris en charge par la sécurité sociale jusqu'à la fin de mes jours. L'autre était d'épouser une femme fortunée.

Ce plan B me paraissait le plus facile à réaliser. La bizarrerie de la littérature attire des femmes de différentes sortes : les curieuses, les dangereuses, les rêveuses, les tendres, les méchantes, les allumées - toutes plus bizarres les unes que les autres. La richesse n'est qu'une bizarrerie moins fréquente. Et un écrivain célibataire, à peu près en ordre de marche, constitue une cible de choix.

Quand même, la chance se présente toujours sous une forme inattendue : j'ai guéri de toutes mes maladies ; et j'ai fait un mariage d'amour. J'ai donc conservé mes jambes et mes fins de mois difficiles. Il a fallu trouver autre chose.

J'ai décidé de vivre dans l'aisance que donne la richesse, sans attendre que la richesse vienne. J'ai décidé de vivre, non pas comme les riches, qui ont des vies formatées et grégaires, mais en riche. Un riche qui serait un ascète et qui, satisfait de la possession du monde, n'aurait pas de grandes exigences matérielles ; mais qui dans l'ordre de ses désirs, ne se priverait jamais de rien.

Il ne suffit pas d'être démuni : il faut aussi être opulent. Il ne suffit pas d'être à sec : il faut encore dilapider à pleines mains « l'or éternel ».

Le métier d'écrivain est merveilleusement fait pour cela. L'aveuglement du monde à l'égard d'un poète ou d'un romancier est telle qu'il peut miser sur cette cécité pour se glisser partout où il n'a rien à faire, et jouir des avantages de l'aisance matérielle à l'abandon, pendant que nos Maîtres sont au travail.

Ainsi, à l'intérieur de mon manque d'argent, j'ai découvert l'opulence, organisant  à ma guise l'espace sans fin de l'écriture, jouissant des luxes premiers, la paresse, le plaisir, le loisir, la maitrise de soi et du temps, merveilleusement libre de tout rapport hiérarchique, du stress en entreprise et de la gestion des possessions matérielles.

Et la promenade au Bois, le café parfait, le pain et le vin, l'échange avec les amoureuses littéraires, et votre propre lecture des chefs-d'œuvre, viennent rythmer sans fin les journées d'un royaume conçu, semble-t-il, pour vous seul.

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