Un poisson rouge

Publié le  21.02.2011

Le bocal est un crâne dans lequel deux poissons rouges tournent en rond.

Rouge est le signe que les yeux sont aussi vagues que le propriétaire du crâne en  question. Bébé, son regard roulait en direction de sa mère. La puberté le poussa contre le bassin d'une demoiselle. Leurs fiançailles éveillèrent en lui des plans de piscine olympique. Lors de l'échange des anneaux, on sentit du flottement, à peine rattrapé par l'énergie érotique et l'impératif d'amortir le coût des noces.

Nos deux poissons se mirent à tourner comme des alliances.

Vivre en rond devint une habitude jusqu'à ce dimanche où le mâle s'imagina en cuberdon sur un comptoir d'épicerie. La friandise est un absolu pour le poisson rougi par les idées révolutionnaires. Au moins, le bonbon a mis la tête hors du bocal ; il prend le risque de s'aventurer d'un étal à une poche et d'une poche à une armoire de cuisine, avant de passer Noël sous le sapin puis sous le dentier.

Anarchie sucrée de la vie en rose !

Et combien plus palpitante que le repos giratoire sur un buffet avec vue sur le fauteuil de mémé et sur le verre à dents de pépé.

S'échapper du bocal ou continuer à mordre la queue, voilà le dilemme.

Que le poisson rouge ignore moins que le mari, car sa bouche déroule des bulles de bisous vers les gosses qui ont leur anniversaire.

On en voit émerger de la boutique « Nature et pêche », suspendu à un fil, dans un sachet en plastique, au doigt frêle d'un garçonnet.

C'est leur moment de gloire entre abîme et cumulo-nimbus : le poisson qui se croyait sous-marin rouge se découvre Zeppelin occupé à survoler la République, ses crottes, ses mégots, ses crachats et ses fourmis qui font la file aux arrêts d'autobus.

Le gamin saute sur le marchepied ; cahotés par les pavés et les cartables, il porte le sachet à hauteur de ses lèvres et inspecte la robe de feu et les écailles bordées d'or. Ses gros yeux s'émerveillent que la lumière tremble le long des nageoires, s'inquiètent du battement des ouïes que le trajet affole. 

Remué par les belles dames et les étals des bijoutiers, l'animal frémit sous les reflets des bottes et des escarpins. Il connaît ce miracle d'avancer sans bouger, et celui de l'amour d'un enfant pour son jouet vivant et fragile.

Mais rêve-t-on des nuages quand l'air vient à manquer dans le sachet en plastique ?

Voilà notre poisson presque à l'envers, le ventre tendu vers les dards du soleil ; et le gamin effrayé de cavaler vers la maison.

Le poisson rouge, c'est son petit cœur d'anniversaire, le cadeau de son papa et de sa maman.

À toutes jambes, le gosse, tandis que l'animal se paie le mal de mer à force de remous et de marées.

Sens dessus dessous, il se rêve en athlète de ruisseau, en guerrier de rivière, en remonteur de fleuve : une déchirure dans le sachet d'habitudes et de peurs, et notre poisson filerait par les égouts, comme un prisonnier qui s'échappe de sa geôle.

Mais, non, somme toute,  il a choisi le bocal sur le guéridon, et les documentaires à la télé sur la murène ou le requin blanc.

Et le voilà à tourner, à retourner son alliance, le nez à la vitre, comme un papa ou une maman.

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