Juliette Goudot : "J’essaie de ne pas sortir de ma place"

Publié le  12.03.2021

À partir de février, la saison annuelle des cérémonies de remise de prix cinématographiques s'ouvre pour mettre en lumière un 7e Art particulièrement prolifique, diversifié et enthousiasmant. Sur le tapis rouge défilent les robes les plus extravagantes. Sur scène s'exécute un ballet parfaitement orchestré de maître.sse de cérémonie, de remettant.es et de lauréat.es.   

Comment se construit ce show, souvent festif, parfois controversé ? Alors que tous les yeux sont rivés sur la cérémonie des César 2021 organisée à l'Olympia, Bela a tendu son micro à la journaliste Juliette Goudot afin qu'elle nous explique en quoi consiste l'écriture et la lecture en voix off de portraits des personnes primées. 

femme qui tourne la tête vers la droite
© Juliette Goudot par Louise Narboni

Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours en quelques mots ?

D’un point de vue professionnel, je suis principalement critique de cinéma et journaliste freelance culture et cinéma. C’est comme ça que je me définirais en premier et c’est comme ça que je gagne ma vie. J’élargirais à autrice à travers un documentaire que j’ai pu écrire et réaliser, un roman que j’ai publié et des collaborations d’écriture notamment en scénario. En 2021, il n’y a pas eu de Magritte. Mais pendant trois années consécutives, j’ai écrit les textes d’introduction des lauréats et lauréates et les ai lus en voix off pour la télévision.

En quoi consiste cette activité de rédactrice de bio pour des cérémonies ?

Au moment où on ouvre l’enveloppe et que le nom des lauréats et lauréates est annoncé haut et fort, il y a toujours un petit temps de battement à la télévision avant que les personnes primées ne viennent récupérer leur trophée, je suis là pour meubler ce temps-là avec une courte biographie actualisée du lauréat ou de la lauréate. Je dispose chaque fois de 30 ou 40 secondes (cela peut monter jusqu’à 50 secondes) pour dire du contenu informatif. Ce que je fais pour les cérémonies est très différent de ce que je fais pour la radio. C’est presque une vignette ou une pastille instantanée de quatre lignes résumant le parcours de quelqu’un que je lis. Pour mes chroniques sur La Première (RTBF), j’écris six minutes, j’insère des citations, des accroches, parfois des sons, un fil rouge.

Quelles sont les étapes de « fabrication » de ces textes biographiques ?

Je dirais que cela se passe en trois temps. En amont de la cérémonie, au moins un mois avant, je visionne les films sélectionnés et je commence à collecter des infos avec l’aide précieuses de deux spécialistes du cinéma. D’un côté, il y a Aurore Engelen qui est la rédactrice en chef de Cinevox qui est le site du cinéma belge rassemblant des critiques de films et des interviews. De l’autre, il y a Anaïs Pirenne qui travaille à la programmation du Festival international du film francophone de Namur en collaboration avec Nicole Gillet qui est membre de l’Académie André Delvaux en charge de l’organisation de la cérémonie de remise des Magritte du cinéma. J’essaie ensuite de rédiger des mini-bios qui soient dites à la télé dans un temps particulier.

Une fois que les textes sont finalisés et que l’on connaît le lauréat ou la lauréate, il est important de disposer d’un plan de la salle où seront assis.es les acteur.rices, réalisateur.rices ou metteur.euses en scène afin de visualiser le temps qu’il.elles vont prendre pour recevoir leur statuette. Quand les lauréat.es se précipitent sur la scène, il faut pouvoir couper certains extraits de son texte. Inversement, s’ il.elles embrassent tout le monde installé sur leur rangée, il faut dans ces cas-là avoir prévu des « biscuits », c’est-à-dire des suppléments. Par exemple, en 2020, le film « Duelles » d’Olivier Masset-Depasse a remporté dix Magritte. Chaque fois qu’il remportait un Magritte, je devais essayer de varier les infos différentes pour ne pas avoir l’impression de me répéter et de dire systématiquement « C’est un film adapté d’un polar de Barbara Abel ».

La troisième étape est la performance orale. Si je parle de performance, c’est parce que c’est en direct et que je dois tenir compte de toute sorte d’éléments : je ne dois pas bafouiller, je dois m’entraîner à prononcer correctement les noms, je dois essayer d’avoir une voix neutre mais qui puisse quand même être reconnaissable comme étant celle d’une journaliste que l’on entend parfois à la radio parler de cinéma.

En somme, c’est un travail de collecte en amont et au moment de performer le texte c’est quelque part un travail d’acuité visuelle, d’adaptation au temps mis à disposition et aux applaudissements.

Quels sont les ingrédients d’un bon portrait de lauréat ou lauréate ?

La spécificité d’un portrait de lauréat.e réside dans le fait de proposer une bio qui soit en lien avec l’objet de la récompense. Si je dois parler de prix valorisant les aspects techniques d’un film, j’essaie d’axer les contenus sur le travail technique effectué. Par exemple, quand le chef opérateur belge Olivier Boonjing a reçu le Magritte de la meilleure image pour « Parasol », j’ai centré le portrait sur son travail sur la lumière. Pour les prix du meilleur scénario, j’essaie de montrer à quelle famille de scénaristes le lauréat ou la lauréate appartient. Par exemple, pour le film « Duelles », le co-scénariste d’Olivier Masset-Depasse, Giordano Gederlini, a travaillé avec Ladj Ly.

Y a-t-il de la place pour la subjectivité dans ces portraits ?

J’essaie de ne pas sortir de ma place dans le sens où je suis une voix off, je ne suis pas là pour faire rire ou exprimer ma joie ou ma déception. J’essaie de proposer des contenus qui soient assez écrits en étant la plus neutre possible parce que je trouve que c’est la meilleure chose à faire pour les spectateur.rices. Les autres discours sont déjà empreints de tellement d’ironie. Dans mes interventions, j’essaie du coup de dire quelque chose que l’on ne puisse pas attaquer. La seule subjectivité que je m’autorise se limite au choix d’un adjectif plutôt qu’un autre.

Avez-vous suivi une formation particulière pour être rédactrice de contenus pour une cérémonie de remise de prix ?

Pas du tout. Par contre, j’ai demandé quelques conseils techniques à mon ami Thierry Cheze, qui est journaliste de cinéma pour le Studio Magazine et qui a fait les voix pour les César et pour le Festival de Cannes. Ils tiennent en trois grands points : ne pas faire de phrases trop longues, pouvoir couper si on voit que l’on va manquer de temps et repérer les gens dans la salle. J’avais aussi écouté ce que faisait mon prédécesseur sur Be TV. J’ai personnellement essayé de dire plus de choses que ce qu’il avait l’occasion de dire en utilisant mon travail de critique de cinéma qui fait que je connais assez bien la production cinématographique : quel film sort et qui a fait quoi. C’est ça qui a été ma formation.

Comment avez-vous été sollicitée ? Faites-vous partie d’un répertoire d’expertes ?

C’est Rudy Leonet, qui travaille à la RTBF, qui m’a proposé en 2018 d’écrire pour les Magritte. Je l’ai fait trois années d’affilée. Je crois avoir été repérée car j’ai prouvé dans mon travail que je connaissais bien le monde du cinéma. Par ailleurs, une voix féminine était recherchée et mon expérience en radio a montré que je pourrais bien me débrouiller pour faire du direct. Ce n’est pas forcément le bouche-à-oreille qui a joué, les programmateur.rices culturel.les savent que vous écrivez sur les films, que vous voyez les films belges, il.elles finissent forcément par vous proposer de faire des choses. Si je n’ai pas eu besoin d’être visibilisée (par un répertoire par exemple) pour mon expertise en écriture de bio de lauréats et lauréates, j’aimerais peut-être que l’on sache plus que j’aimerais dire des choses que je n’écris pas forcément moi. Par exemple, faire des voix off de documentaires, cela m’intéresserait.

dessin d'un oeil bleu
© affiche de la cérémonie des Magritte 2020

Cette expérience de rédactrice de portraits pour des cérémonies de remise de prix influence-t-elle votre activité de journaliste et d’autrice ?

C’est un peu comme un cercle vertueux. Cette activité de rédactrice de portrait pour les Magritte alimente ma connaissance du cinéma et me permet de faire rapidement des liens entre des contenus. Par exemple, ayant retenu que Bérangère McNeese avait gagné le Magritte du meilleur court métrage en 2020 pour « Matriochkas », si je repère aujourd’hui qu’elle a co-réalisé la série « Baraki » sur la RTBF, je la reconnaitrai et aurai l’idée d’en proposer un portrait dans Gael. Par ailleurs, la rédaction de bio pour les Magritte étant très cadrée, ne me permettant pas de m’exprimer personnellement sur certains aspects de la cérémonie, je me rattrape parfois dans mes autres espaces d’écriture. Je me souviens il y a deux ans, quand Alex Vizorek a présenté les Magritte, les cinéphiles avaient été offusqués par la projection d’images du film « Jeanne Dielman » de Chantal Akerman pendant la cérémonie. L’extrait de Delphine Seyrig épluchant des pommes de terre était projeté chaque fois que l’on voulait signifier au public que les discours étaient trop longs et que l’on commençait à s’ennuyer. Je comprenais sur le moment leur réaction indignée mais à l’antenne je ne pouvais pas me permettre de le dire. Je m’étais rattrapée alors à la radio dans une chronique #héroïne dans « Entrez sans frapper » sur « Jeanne Dielman » pour rappeler qui c’était, qu’elle n’était évidemment pas là pour servir un quelconque message humoristique et que je la regardais même comme une figure tutélaire de la cérémonie. Je n’avais donc pas su en parler pendant les Magritte mais l’ai fait par la suite sur les ondes.

Quel est, selon vous, le profil type pour percer dans ce secteur ?

Il faut en premier lieu avoir déjà écrit du contenu cinéma sur un site (qui met en valeur le cinéma belge si on veut postuler pour les Magritte). Disposer d’une certaine expérience et dès lors de quelques contenus à votre actif est un must afin que l’on puisse juger de vos qualités rédactionnelles et de votre connaissance cinématographique. La participation à une cérémonie de remise de prix questionne des problématiques de confidentialité, il faut donc aussi que l’on puisse vous faire confiance.

Quelles sont les perspectives d’évolution dans ce domaine ? Souhaiteriez-vous devenir un jour maîtresse de cérémonie ?

Non, car je ne suis pas comédienne, c’est-à-dire une personne qui peut faire le show (du moins quand je regarde toutes les femmes qui ont été maitresse de cérémonie jusqu’ici). Je ne me sens pas capable d’assurer ce spectacle, mais continuer d’écrire et de faire des voix, oui !

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