Capital Confiance (Lettre à Antoine Pickels, à propos de « Trust »)

Publié le  20.07.2010

Cher Antoine,

 

Hier, tu t'es gentiment moqué de moi. Sur ton compte Twitter, en réaction au billet publié ici-même à propos de « L'Orchestre perdu », tu as posté le message suivant :

 

« @antoineenscenes Attention Antoine tu commences à écrire comme un journaliste français qui couvre le festival d'Avignon ».

 

Quelques heures plus tard, alors que je profitais avec femme et enfant du calme de la Chartreuse, en te croisant dans ces murs, chemise blanche et lunettes noires, tu as précisé ta pensée et m'a dit (je cite de mémoire) :

 

« Tu as fait comme ces critiques parisiens qui disent que c'est mauvais quand ils ne comprennent pas ».

 

Depuis, je me demande si tu as raison ou pas.

Il est exact que je n'ai pas pigé grand chose à la proposition de Huysman.

Il est néanmoins tout aussi exact que ce je pense avoir pigé m'a déplu, ennuyé, voire parfois gêné pour les acteurs embourbés dans cette affaire.

Que fallait-il dès lors écrire ?

C'est en te lisant dans les colonnes de « Scènes » que j'ai acquis la conviction suivante : il est préférable de l'ouvrir, de dire les choses telles qu'elles nous apparaissent, de jouer le jeu de la transparence plutôt que celui de la stratégie ou du copinage. Le débat public, l'émulation, la réflexion sur nos pratiques, ont tout à y gagner. J'essaie à ma modeste échelle de m'y appliquer.

Bien entendu, l'exercice est plus périlleux quand on s'y attèle au jour le jour. En écrivant un texte pour « Scènes » ou « Alternatives théâtrales », j'ai la possibilité du recul, d'une vraie préparation qui inclut lectures, recherches, discussions, réécritures avant publication. Mais ce sont précisément les arguments utilisés par les critiques professionnels de la presse quotidienne lorsqu'on leur reproche leur manque d'audace. Écrire ce blog, c'est aussi me rapprocher de ces contraintes-là. Au risque de tomber dans les mêmes écueils qu'eux, donc.

Soit.

 

Ce matin je souhaitais parler de « Trust », de Falk Richter et Anouk Van Dijck.

Je souhaitais en parler pas trop mal puisque c'est le spectacle qui m'a le plus plu depuis mon arrivée à Avignon. J'ignore ce que tu penses du travail de Richter. Pour ma part, j'avais aimé « Unter Eis » ; « Jeunesse blessée » ne m'avait pas déplu ; « My secret garden » ne m'avait pas franchement convaincu (cf. ci-dessous). J'y allais sans savoir.

Ici, il est question de crises. Celle des banques, celle du système. Et puis surtout celle, moins directement perceptible, qui cimentent les deux précédentes : la crise relationnelle, celle du lien entre les hommes, la crise de confiance entre le « je » et le social. Thème central chez Richter, qui m'intéresse aussi au plus au point puisqu'il est au cœur de mon projet « Dehors » et de presque tous les textes de mon complice Depryck. « My secret garden » m'avait semblé manquer sa cible par trop de nombrilisme. Il n'en est rien ici. La distance et la contradiction sont formidablement à l'œuvre dans « Trust », sans cynisme aucun. Le contrepoint aux textes de Richter apporté par les mouvements de Van Dijck leur va bien. Ils en deviennent plus épais, plus troubles. L'équivoque les pétrit. La phrase leitmotiv de ces personnages en crise résume leur lucidité désillusionnée, le fatalisme ambigu de notre univers : « Et si on ne changeait rien ?». Autour de cette phrase, Richter construit un spectacle qu'on pourrait qualifier d'« a-critique » en utilisant la terminologie d'Armel Roussel (cf. à ce sujet mon texte « Qui va là, Armel Roussel ? », que tu as publié dans l'ouvrage « Jouer le jeu »).

 

Sans maniérisme, sans posture, en toute simplicité naïve, le constat suivantm'apparaît :

 

face à « Trust », j'ai eu l'envie de regarder mon époque et ma société sous un autre angle ; j'en ai été bousculé, et ému, et amusé, et perturbé

 

face à « Trust », j'ai eu l'envie de parler aux acteurs qui m'entourent, j'ai eu l'envie d'écrire, j'ai eu l'envie de mettre en scène

 

face à « Trust », mon désir de spectateur, de citoyen et de créateur, a été titillé, questionné, relancé.

 

En toute franchise et sans parisianisme, je te garantis que « L'Orchestre perdu » n'a rien permis de tout cela. Hormis, certes, cette conversation...

 

 

amicalement,

 

antoine.

 

 

Post-sciptum transparence : ce billet a été rédigé ce mardi 20 juillet, entre 7h15 et 8h15.

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