Piquoter picota lève la queue et tombe en bas

Publié le  17.06.2011

Pour écrire faut-il avoir quelque chose à dire ? Quand on a quelque chose à dire, faut-il l'écrire ? Et pour autant (et même plus avec un psy) le dire et le redire ne suffirait-il pas ? Pourquoi l'écrire encore et encore, (et encore pour moins que ça) ? Elle disait, je vous parle de ma 'psy-mère' avec laquelle le transfert, pendant sept ans, a pu se 'faire et défaire c'est toujours travailler'… Là, c'est la pensée de ma mère qui me remonte comme un escargot de Bourgogne vanné. Ma mère « acceptable », mais pas par moi, perdait son temps à m'écouter (ou plutôt à ne pas le faire). Ma 'psy-mère' acceptée, mais pas par ma mère, gagnait sa vie à m'entendre dire et redire, sans fin/frein, les mêmes maux/mots.

 

Chaque fois que je décide d'écrire et de ne plus m'embarrasser de ces questions qui n'ont qu'un seul but : m'empêcher d'écrire, je mets le réveil à sonner à six heures. Systématiquement, le jour « J » à l'heure « H », le réveil sonne, je ne bouge pas et refais ce rêve 'étrange et pénétrant' (âmes sensibles s'abstenir). Je vois un homme assis sous une photo de Sinatra, au meilleur de sa mafieuse forme, cet homme boit. Quand je dis qu'il boit, c'est clair comme de l'eau qu'il boit un 'p'tit verre' ; limpide que ce qu'il tient entre les mains a plus d'importance que n'importe qui d'autre, et surtout pas moi, la petite peste de six ans qui le regarde sans ciller. Le bistrot est rempli, à craquer, d'hommes et de femmes qui, comme lui, boivent « leur » verre. Boire un verre seul reste indéfinissable, le boire à plusieurs crée du possessif. Chaque fois que le rêve sonne « Écrire Écrire Écrire Écrire ». Je me dis qu''à force d'être répétés, les mots perdront peu à peu leur signification et la douleur qu'ils portent en eux-mêmes' [1].

 

Si ma mère pense que cet infini ressassement public du même n'est qu'une façon de me soutirer de l'argent à bon compte, le mien pas le sien ; ma 'psy-mère' pense que dire et redire c'est faire du 'picotage'. À l'époque, je n'avais pas compris 'picotage' mais 'piquotage'. C'est qu'en séance, quoiqu'on en dise, on est deux à écouter en flottant sur les vagues du sens. Or, le picotage est au piquotage ce que ma 'psy-mère' est à ma mère-mère. Le premier colle, rigidifie, forme et enferme ; le second décolle, détache, troue, ouvre ...

 

Dans mon rêve, on est vendredi et deux jours pour s'en remettre, chacun se donne à fond, comme la musique du juke-box qui reprend pour la énième fois ♪♪♪ 'Something in your eyes was so inviting, something in your smile was so exciting, something in my heart, told me I must have you.' ♪♪♪ La petite fille que je suis ne voit pas, dans les yeux éteints de cette femme sans âge mais pas sans fard, ce qui invite l'homme. Elle ne comprend pas ce qui lui donne l'envie de la posséder. Même quand elle sourit. 'I must have you-ou-ou' ! Les adultes restent un mystère jusqu'au jour où un enfant de six ans vous regarde sans ciller, vous mettre du rouge sur les lèvres et du noir autour des yeux. Ce jour-là, la pièce tombe dans le bastringue et 'Strangers in the night' reprend de plus belle. Chaque fois que le rêve sonne à six heures. Je me dis que je dois l'écrire. Et si les mots, en les écrivant, semblent avoir perdu de la douleur, la nausée, manifestation psychosomatique, monte tout de même au rythme du récit… Dans le café, la femme tant désirée se lève, danse, titube. L'homme 'so exciting' s'approche, la prend, surprend. Elle bave un 'laisse, j'peux l'faire seule' et elle le fait, à jets continus. D'un regard net, qui ne dit mots, ma mère montre le seau et le torchon. Je comprends que c'est à moi d'agir sous peine de… de… tout dépend de sa fantaisie du moment.

 

« Picoter » c'est piquer et repiquer autour d'une forme jusqu'à ce que celle-ci tombe d'elle-même. Prérequis à la manipulation des ciseaux. « Piquoter » consiste à poser la ou les toiles, soubassement du veston, afin de rigidifier le lainage du devant de la veste et donner du galbe au plastron. Si j'ai bel et bien picoté en maternelle, avec la plus grande distinction ; j'ai vu piquoter mon père du berceau à la bière dans la plus pure contemplation. Pas étonnant que j'aie mis des années à comprendre mon erreur. Pas étonnant que je n'aie contemplé que le doigt sans jamais voir la lune qu'il désignait. Et dire qu'aujourd'hui, le réveil sonne. Il doit être six heures ? Sous la « douche froide », je me lave sans fin/frein laissant à l'écrivain que je serai un jour-qui-sait, demain-peut-être, le soin d'aller jusqu'au bout de sa nuit. 

 

[1] Agota Kristof, Le grand cahier.
[2] Photo de gauche téléchargée sur Google image, l'autre surhttp://www.paulgrassart.com/2010/11/travaux-en-cours/

À découvrir aussi

L’enfant qui court dans la Salle des Pendus

  • Fiction
"Il est essentiel que l'œuvre d'art parvienne à parler à chacun d'une manière singulière" Christian Boltanski  

Penser

  • Fiction
C'est toujours difficile de savoir ce qui nous pousse à écrire. La notion de « nécessité » est tentante mais dangereuse . Car lorsqu'écrivant nous nous demandons pourquoi nous écrivons, nous n'écrivon...

Gaines

  • Fiction
Gaines   Toujours à l’entame de la création, une dépouille, le même élagage : ce gésier qui s’amuït              en fracas. Refus de l’enceinte de la parole qui sangle et met à bas des mots         ...

Vers une musique made in France ?

  • Fiction
En France, dans la région des Pays de la Loire, il y a un orchestre national. Il est dirigé par un chef d'orchestre français et composé de musiciens interprètes français. Sans exception, des violonist...