Un sentiment familier

Publié le  05.03.2013

Réfléchissant à ce qui m'a interpellée au cinéma, au point d'en faire un mode d'expression, je suis parvenue à épingler deux souvenirs d'enfance, qui m'ont paru significatifs. Ils concernent mon arrivée en France, à l'âge de huit ans.

Je suis au bord de la mer, en Normandie. C'est la fin de l'automne ou le début de l'hiver. J'ai déjà vu la mer, mais je n'ai jamais vu de plages de galets. Il fait nuit. Il n'y a personne. La mer s'exprime avec fureur. Le bruit des galets, qui roulent en se cognant les uns contre les autres, dramatise le déchaînement des vagues. Le vent m'assourdit. Je lutte contre lui pour avancer et parfois je m'adosse à lui. Stupéfaite face à ce paysage, je me dis : « C'est ça, la France ! ». Tout droit venue de Séoul, le contraste a été saisissant. Depuis, j'ai associé le vacarme de la mer à mon arrivée en France, bouleversement majeur du cours de mon existence.

Peu de temps après, je me suis retrouvée en banlieue parisienne. Je joue avec un groupe d'enfants qui habitent dans la même résidence que moi. Je ne sais pas encore parler le français, mais nous n'avons nullement besoin des mots pour entrer en interaction. L'ignorance de nos prénoms et de nos origines ne représente pas un obstacle. Je m'amuse sans savoir ce que les enfants se disent entre eux. Je perçois le monde avec une légère distance et je me rattache à l'expression des visages, la tonalité des voix. Le monde se présente à moi comme une succession de tableaux vivants, dont je peux interpréter librement le sens. Je participe pleinement aux jeux, en observant la manière dont les corps des enfants se positionnent dans l'espace : tous en cercle ; la moitié à droite et l'autre moitié à gauche ; un seul immobile et les autres courant éparpillés ; tous réunis dans le bac à sable... . Nous nous comprenons, au-delà des langues.

Ces impressions vécue dans l'enfance, j'ai été surprise de les retrouver bien plus tard en découvrant un certain cinéma, qui ne soumet pas le visible sous les lois de l'histoire. Les films que j'aime, me saisissent, sans raisonnements logiques, comme m'a saisie le paysage normand. Ils me laissent naviguer et élaborer des histoires, de la même manière que j'ai interprété les va-et-vient des enfants dont je ne comprenais pas la langue. Le cinéma m'a conquise parce que j'ai eu le sentiment que sa façon particulière de réfléchir et de questionner le réel, m'était étrangement familière. Aujourd'hui, en faisant des films, je tente de recréer, par l'agencement d'images et de sons, des sensations singulières pour traduire mon rapport au monde.

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