Un voyage en Alaska

Publié le  07.10.2011

Le kayak a été le trait d'union entre l'Asie et l'Amérique à l'époque lointaine où les avions ne décollaient que pour s'écraser dans l'océan : cousin éloigné de Sisyphe, l'esquimau passait son temps à pagayer d'une rive à l'autre du Détroit de Behring, seul, sans femme, ni ours, ni enfants.

En raison de ces allers et retours, le kayak mérite le titre de palindrome, mot qu'il ne faut pas confondre avec aérodrome, syndrome ou carcinome, lesquels ne présagent rien de bon en matière de santé.

Le palindrome est un mot qui s'épluche dans les deux sens comme une banane riche en vitamines. Ses qualités diététiques ne varient pas selon le bout par lequel on l'entame: oxo se lit oxo, radar se lit radar, Léon se lit Noël - par quoi, nul n'est à l'abri d'une surprise, surtout en période de fêtes, et sans que le lexicologue y trouve à redire.

Alors que ce dernier plonge dans les pages du dictionnaire, le sportif se jette dans les rapides et cascade.

L'eau bouillonne, le rocher tend les défenses et les crocs.

Si le lecteur plisse les yeux, il pourra lire entre ka et ak, rives mêmement  abruptes, le Y, pagaie à deux pales, l'une en l'air, dressant le V de la victoire;  l'autre dans l'eau, refermée comme une main du nageur. 

Avec ça, bien des éclaboussures sur les pages de l'encyclopédie, et de longues dégoulinades le long du bois, du bras, du torse et jusque dans la culotte où se morfond la partie la plus gercée de l'athlète.
Fourbi comme une médaille, voici ce dernier sur la plus haute marche du podium, là où le langage se casse généralement la figure.

L'or de la victoire, c'était dans la catégorie canoë-kayak! 
Or, le canoë-kayak n'existe pas plus que le rien n'existe derrière le mot rien ou le diable derrière le mot diable ou Dieu derrière le mot Dieu. Quoique, en ce cas, il reste prudent de demeurer dans le doute, soit qu'il y en a un, et on baissera la tête, soit qu'il n'y en a pas et on la baissera plus encore, vers le n'importe quoi censé en tenir lieu depuis l'annonce de sa mort par les philosophes.

Existeraient-ils que Dieu et le diable seraient aux antipodes l'un de l'autre, à l'enseigne du canoë et  du kayak.

Le canoë se pratique à genoux et se pousse avec une rame tandis que le kayak se dirige assis et se propulse à l'aide de pagaies. En outre, le kayak forme un ensemble solidaire avec l'homme, à l'identique de la peau de banane qui reste fidèle à sa pulpe, avant de glisser  sous la semelle du curé. 

Unir le canoë et le kayak, c'est jeter Davy Crockett sous la même couette poilue que Nanouk, lequel consentirait à se plier à la tradition qui veut que son épouse réchauffera les parties gercées du visiteur, mais sans plus.

Car où irait-on avec tout cela?

Les fesses en compote, le curé monte en chaire et tempête : l'accouplement du canoë et du kayak est une faute à l'encontre du langage et donc à l'encontre de Dieu.

Le lexicographe de tonner : un palindrome qui se retourne, c'est deux lecteurs qui se noient.

L'athlète : l'or est au kayak ce que la femme est à l'igloo.

Davy Crockett : qui tire l'ours par la queue tente le diable par l'arrière.

Nanouk : manger une banane, pour un esquimau, c'est, comme pour un croyant, goûter à la chair de Dieu.

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